
A force de tendre le bras le plus loin possible pour capter en même temps votre sourire et un morceau plus ou moins centré de “la vraie demeure des rois” que Napoléon appelait également “la maison des siècles”, il devenait évident qu’un jour viendrait où un brillant esprit trouverait la solution pour rendre plus ridicule encore la pratique du selfie.
Selon les Oxford Dictionaries, la “selfie” est une photo de soi-même prise par soi-même avec un téléphone portable, non pas pour soi-même, mais plutôt pour le monde entier… La selfie est ainsi intimement liée à des services “sociaux” tels Instagram (propriété de Facebook) et Snapchat. Des services où tout un chacun enregistre et partage une mise en scène permanente de sa vie et de son apparence; des miroirs de la vie et de la société où règne en maître l’adolescence et son obsession maladive pour la perfection physique ou ce qu’elle s’imagine être la perfection physique.

Il y a un garçon australien qui doit beaucoup s’en vouloir, pas seulement parce qu’avoir bu plus que de raison un certain soir de 2002, il s’effondra dans l’escalier et publia le lendemain sur un forum local une photo de sa lèvre abîmée en expliquant : « Sorry about the focus, it was a selfie. » (Désolé pour le gros plan, je l’ai fait moi-même.) Il doit s’en vouloir parce qu’il ne déposa pas le terme “selfie”, néologisme anglais qui venait pour la première fois d’être utilisé pour désigner cette fameuse photo faite du bout du bras et qui allait faire le tour du monde et s’imposer à tout un chacun. C’est ainsi que pour la première fois dans l’histoire des dictionnaires Oxford, le mot “selfie” est désigné mot de l’année tant pour le dictionnaire anglais que pour la version américaine … L’année suivante, 2014, est même désignée par la plupart des journaux comme “l’année des selfies”, également appelé “égoportrait” par nos amis québécois.

Et c’est bien d’égo dont il s’agit par de n’importe quel égo, mais de notre petit égo à nous, celui qui a tant besoin qu’on le caresse, qu’on le cajole, qu’on le dorlote désormais à coups de likes, de +, de gazouillis …. Brimé hier encore par la pudeur, la bonne éducation, la politesse et la retenue, notre petit ego a désormais le droit, et même l’obligation de se mettre en scène sur les réseaux sociaux… Notre petit égo, c’est l’adolescence triomphante, la victoire par KO de la forme sur le fond. Mais plus que cela, la selfie c’est cette petite fenêtre qui nous permet de nous projeter en dehors de la cellule virtuelle au sein de laquelle nous nous sommes nous mêmes enfermés.
Les armées de l’ombre, peuplées de ces journalistes vieillissant et décalés, de ces femmes et de ces hommes qui vomissent jour après jour la société qui se bâtie sans eux mais autour d’eux, s’acharnent ainsi chaque année à pleurer sur le sort de la jeunesse qu’il voient comme des hordes de zombies apeurées par la lumière. Ils détestent les réseaux sociaux et moquent violemment l’habitude “désastreuse” de se prendre soi même en photo avec une moue boudeuse de plus en plus marquée pour faire disparaître le disgracieux gras du cou… La selfie est à leurs yeux une énième expression de l’exhibitionnisme de toute une génération mais je ne vais vous refaire le coup maintenant de l’incompréhension inter générationnelle…
En fait le problème avec la selfie, ce n’est pas la photo mais la bêtise de celui qui est amené à la prendre. On pense naturellement à cette pauvre jeune fille qui en avril 2014 qui s’est prise en photo au volant de sa voiture, l’a mise en ligne sur Facebook et quelques secondes plus tard a percuté le camion qui arrivait en face. On pense aussi à ce couple de Polonais qui le 9 août 2014 a fait une chute de 80 mètres pour s’écraser sur les rochers de Cabo da Roca, sur la côte ouest portugaise, sous les yeux de leurs deux enfants… Mourir pour faire la plus belle photo de soi même, pour la partager et recevoir des “je t’aime” … Mourir pour une image qu’on se donne, qu’on veut montrer aux autres… mourir par bêtise comme on mourait par bravade… mourir en se noyant dans son propre reflet, c’est vieux comme le monde …

Pour les anciens gnostiques, Adam aurait perdu sa nature céleste parce qu’il était tombé amoureux de sa propre image… parallèle au mythe de Narcisse, homme d’une beauté incroyable pour lequel le devin Tirésias avait prédit qu’il “vivrait vieux s’il ne se regardait pas“.

Si les islamistes de DAESH lisaient les livres au lieu de les brûler, ils connaîtraient Narcisse, ses faiblesses et le danger qu’il y a à être obsédé par son image. C’est Hawk Carlisle, général de l’armée de l’air américaine et responsable de l’Air Combat Command, qui a ainsi raconté qu’un djihadiste avait récemment posé devant une installation de l’État islamique et avait ainsi révélé sa position. “Le personnel filtrait les réseaux sociaux quand quelqu’un est tombé sur la photo de cet idiot debout devant son poste”, peut-on lire sur le site Defensetech qui rapporte les propos du général. Il n’a ensuite fallu que 22 heures à ses hommes pour déterminer précisément la localisation du bâtiment, organiser une opération et puis larguer trois bombes Joint Direct Attack Munition, guidées par GPS, pour détruire la cible.
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